Deuxième partie
J’ai évoqué à la fin de la première partie de cet article la condition biologique qui voue la femme à la reproduction de la vie, donc à la circulation du bien le plus précieux dans toute société, fait d’elle partout l’objet de stratégies de la part des hommes qui ont le monopole du contrôle de la circulation des biens et des rapports de force entre familles, clans et tribus. Toutefois, dans son échange avec ‘’LE SOIR’’ du 19 et 20 octobre 2019, Madame Leila BOURAOUI aurait dû au moins faire revenir à nos mémoires le rôle de la pilule contraceptive qui a permis à l’émancipation de la condition féminine d’atteindre le niveau fondamental des stratégies aussi anciennes que les sociétés humaines. Et nous connaissons tous, les débats psychologiques et psychanalytiques autour de la ‘’libération‘’ sexuelle et tous les tabous qui l’ont réprimée et contrôlée avec un code implacable qualifié d’éthique et de religieux.
Les conditions historiques, économiques, socioculturelles et politiques où ces débats sur la femme commencent à voir le jour dans les sociétés musulmanes, invitent à la prudence afin d’éviter de prononcer en toute hâte des condamnations catégoriques à la manière des ‘’féministes’’ légitimement révoltées, ou, au contraire faire des discours péremptoires en vue de protéger un statut divin et supérieur à tout ce que les hommes ont conçu ailleurs. Ainsi donc, il n’y a rien de plus complexe et de plus dérisoire que d’engager des discussions sur les versets coraniques qui parlent de polygamie, de répudiation, d’héritage, de supériorité de l’homme sur la femme, de voile, de mariage licite et illicite… Tous ces versets ont déjà fait l’objet d’explications juridiques de la part des exégètes, fondateurs d’écoles, tel que Shâfi’i, etc. Toutefois, aucun de ces maîtres ou ces ‘’Oulémas’’ n’a été capable de relativiser ces versets en les mettant en rapport avec les conditions historiques qui prévalaient au temps du Prophète.
C’est dans les perspectives ouvertes par cette problématique dans les sociétés arabo-musulmanes actuelles que les femmes qui travaillent sont poussées par leur condition, à être plus avancées que les hommes et sont amenées à transgresser les limites qui leur sont imparties par le pouvoir patriarcal. Elles ont plus à revendiquer que les autres groupes sociaux opprimés et font peur aux hommes qui sont prêts à les soumettre à une nouvelle servitude, islamistes entre autres, plutôt que les reconnaître comme leurs égales. A part Bourguiba, aucun dirigeant arabe n’a eu l’audace de prendre des mesures en faveur des femmes. Ni Nasser, ni le parti pan arabiste ‘’Baâs’’ (la résurgence) n’ont osé entreprendre des mesures en faveur des femmes. Tout le monde s’est accordé pour les mettre au travail dans les champs, dans les bureaux et à l’usine, mais personne n’a songé à rompre avec le passé et à leur reconnaître des droits. Mais néanmoins, certains intellectuels arabo-musulmans avaient osé étudier le Prophète Mohamed et le Coran comme éléments relevant de l’analyse historique en remettant ainsi en cause non seulement le fonctionnement des structures élémentaires de parenté, mais également tout l’édifice sur lequel repose la législation musulmane, c’est-à-dire l’autorité religieuse…
Cependant, en dépit de nombreuses études sur la question de la femme dans les traditions arabo-musulmanes, les chercheurs des pays arabo-musulmans ne mettent pas suffisamment le doigt sur l’origine du mal. Ils n’ont jamais signalé qu’il y a un lien assez étroit liant le problème de la réclusion à celui des classes. Ainsi, dans son livre intitulé ‘’le Harem politique’’, la sociologue marocaine Fatima MERNISSI n’a pas pris suffisamment en compte la genèse historique de l’Islam, le milieu dans lequel il a éclos et s’est épanoui, l’influence des ambitions individuelles, de la position sociale des chefs et des luttes de factions sur son devenir. Elle s’est limitée à opposer un ‘’hadith’’ à un autre. Par ce travail d’approche mécanique, voire figée, elle n’a fait que contribuer à la sacralisation du texte et à en faire la référence ultime. En effet, en restant au niveau du texte, sa pensée et sa réflexion critiques se sont trouvées coincées et contaminées par le point de vue qu’elle critique.
Historiquement, il est à rappeler que c’est dans les villes musulmanes que les femmes ont été asservies. L’irruption de la masse des femmes esclaves, consécutives aux conquêtes, a totalement bouleversé la société arabo-musulmane, au lendemain de l’Islam. L’existence de la femme ‘’libre’’ va être réglée comme le contraire de la femme ‘’esclave’’ (jariya). Les hommes vont donner libre cours à leurs fantasmes avec les ‘’jawari’’, c’est-à-dire les esclaves, et leurs femmes seront réduites au statut de ‘’mères des enfants’’ (Oum al-awlad). Dans la société abbasside, les femmes esclaves seront de loin plus cultivées, plus libres et plus recherchées que les femmes dites libres.
A présent, c’est à nouveau des villes que partent les mouvements de libération des femmes. Au Maghreb, il y a des milliers de femmes, de jeunes adolescentes qui sortent des milieux populaires, qui ont une éducation arabe plus qu’européenne et qui luttent pour leur émancipation sans avoir en tête le modèle occidental, mais simplement le refus de l’autorité du père, du frère, du mari ou, tout simplement, de cet establishment religieux que forment les muftis et les ‘’khatibs’’ de certaines mass-médias et des mosquées.
La situation problématique de la femme arabo-musulmane fait toujours partie de l’actualité ; les progressistes et les démocrates qui répondent aux partisans de son asservissement en ce début du 21ième siècle sont pris en ‘’otages’’, persécutés par les gouvernants et les islamistes qui n’hésitent pas à ordonner l’autodafé de leurs écrits interdits. Voilà qui en dit long sur le sable mouvant obscurantiste dans lequel s’enfoncent les sociétés arabo-musulmanes et leurs idéologues réactionnaires. Mais malgré tout cela, les démocrates et les progressistes continueront aussi longtemps qu’il faudra, à combattre avec des arguments connus des pouvoirs en place qui laissent les islamistes façonner, par une sorte d’esprit persuasif ou dissuasif, la jeunesse et exigent des intellectuels de s’abstenir de toucher à la question religieuse.
Saïd CHATAR