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La santé pour tous en Afrique et la déclaration d’Alma-Ata (2)

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La santé pour tous en Afrique et la déclaration d’Alma-Ata (2)

Deuxième partie

Contre le désordre établi, une autre politique de santé pour l’Afrique

Face à l’énormité des besoins de soins santé en Afrique, seule une politique rationnelle de santé pourra permettre aux africains d’atteindre un niveau sanitaire qui leur donnera la possibilité de mener une vie économiquement, socialement et culturellement productive ? Ainsi la santé devient-elle chaque jour un problème de choix.

Comme nous l’avons déjà mentionné dans la première partie de cet article, il faudra  rompre avec une tradition établie généralement en Afrique dans le domaine de la santé qui consiste à ne prendre les choses que par un bout : la médecine des médecins, des spécialistes et des hôpitaux, dont les résultats obtenus jusqu’ici sont affligeants en dépit des revendications pleines de bon sens en apparence et des discours totalement contradictoires dans le fond. C’est pourquoi, Il faudra reprendre la question de la santé dans son ensemble en vue d’élaborer une politique de santé reflétant concrètement les aspirations des populations qui désirent appréhender elles-mêmes la réalité de leurs problèmes de santé, c’est-à-dire une politique qui vise à résoudre les principaux problèmes de santé en assurant les services d’information, de soins de prévention, de traitement et de réhabilitation. Ainsi, pour venir à bout du désordre qui règne aujourd’hui en matière de santé en Afrique, il faudra mettre sur pied une politique où la santé n’est pas qu’une question médicale. Il faudra une politique de santé qui s’articule autour de certains principes que voici : l’approche multisectorielle, la participation de la communauté locale, la répartition équitable des ressources, la technologie appropriée, et enfin, la fourniture des médicaments essentiels.

L’approche multisectorielle

L’approche multisectorielle consiste à faire intervenir, outre le secteur de la santé, tous les autres secteurs et domaines connexes du développement national et communautaire  (l’agriculture, la production alimentaire, l’élevage, l’industrie, l’éducation, l’enseignement, le logement, les travaux publics et les communications), et à requérir l’action coordonnée de tous ces secteurs. Cette approche considère que les soins médicaux donnés par les travailleurs sanitaires ne constituent qu’une partie du problème de santé, les autres secteurs de développement national en constituent l’autre partie. Ainsi les soins de santé ne se limitent-ils  pas uniquement aux soins de santé élémentaires de la population, ils s’inscrivent également dans un large programme beaucoup plus vaste englobant le bien-être socioéconomique et culturel. Bien sûr, cela nécessitera inéluctablement la conjugaison des efforts, des actions des différents et divers secteurs de développement : la production et la distribution d’aliments, l’approvisionnement en eau potable, le traitement des déchets ménagers solides et assimilés, liquides (eaux usées entre autres), les transports vers les centres de santé, le logement, l’hygiène décente, etc.

La participation des communautés locales

‘’Une opinion publique éclairée et une coopération active de la part du public sont d’une importance capitale pour l’amélioration de la santé’’ (O.M.S). Les responsables sanitaires des différents niveaux de la pyramide de la santé doivent dispenser aux populations les connaissances nécessaires pour les influencer et leur faire éviter des comportements contraires à la santé tels que fumer, abandonner l’allaitement maternel au profit de préparation des poudres mélangées avec de l’eau contaminée…

En matière d’éducation sanitaire, les travailleurs de la santé doivent toujours considérer que la population à laquelle ils s’adressent,  comme un partenaire actif et non pas un bénéficiaire passif des moyens mis à sa disposition pour améliorer sa santé. Car le but de l’éducation sanitaire ne consiste pas seulement à informer mais aussi à motiver et à modifier les comportements. Et à cette fin, les travailleurs de la santé ne vont pas employer les mêmes arguments techniques pour une collectivité analphabète que pour une population sachant lire et écrire ; d’où la nécessité de bien connaître le groupe à éduquer. Les populations (surtout rurales) tenues à l’écart des programmes sanitaires qui leur sont destinés mais qui ne correspondent pas à leurs besoins ressentis, pourraient éprouver une méfiance, voire une irritation à l’égard des techniciens sanitaires qui arrivent avec des solutions préétablies qu’ils tentent de leur imposer.

A titre d’exemple, si on installe un service sanitaire destiné à prodiguer des soins de santé de base, y compris la planification familiale dans une région où la mortalité infantile est élevée, il faudra en premier lieu du personnel sanitaire local qui connaît les réalités socio-économiques, psychologiques et culturelles et qui arrive à discerner les besoins réels des besoins ressentis des populations qu’il est appelé à desservir. Aussi dans le cadre d’une action de planification familiale par exemple, faudra-t-il envisager systématiquement, simultanément et globalement les questions de santé. Si on veut obtenir la participation de la population à la planification familiale dans une région où la mortalité infantile est très élevée, il faudra d’abord et avant tout trouver les causes de celle-ci et les traiter, pour ensuite lui faire connaître les dangers des grossesses trop rapprochées et les avantages de l’espacement des naissances pour la santé des mères. Le dialogue avec ces dernières et les visites à domicile vont permettre au personnel de santé de savoir si les enfants sont bien nourris, si l’allaitement au sein est abandonné, la provenance de l’eau utilisée, les conditions d’hygiène, etc. D’où la possibilité pour le personnel sanitaire de déterminer les causes essentielles de la mortalité infantile élevée et d’y remédier par l’éducation des mères et la recherche de solutions simples : l’hygiène, la prolongation de l’allaitement maternel, l’utilisation des produits alimentaires locaux riches en éléments nutritifs, etc.

La répartition équitable des ressources

La répartition équitable des ressources est la base de l’élévation du niveau sanitaire général en Afrique. En Afrique où les moyens de transport font défaut, les services de la pyramide de santé (dispensaires, centres de santé, hôpitaux…) fréquentés par les personnes habitant à proximité sont hors d’atteinte pour la plupart des populations, surtout rurales qui y sont éparses. Le rayon d’action d’une formation sanitaire dans les zones rurales peut atteindre jusqu’à 30 km et même plus, alors que l’O.M.S recommande à ce sujet qu’un rayon de 5 km est optimum.

La plus grande partie des dépenses gouvernementales consacrées à la santé est investie dans des services auxquels n’accède qu’une faible fraction de la population. 80 % des dépenses consacrés à la santé sont allouées aux complexes hospitaliers dont 90 % sont réalisés au milieu urbain. Il convient de rappeler qu’il s’est révélé extrêmement difficile d’assurer la bonne marche de ces ‘’mammouths’’ hospitaliers en raison du manque de crédits d’entretien et de fonctionnement : le coût du fonctionnement et d’entretien annuel d’un hôpital représente au moins le quart, voire le tiers de celui de sa construction.

En premier lieu, ce décalage dans la répartition des crédits et des investissements ne nécessite-il pas un équilibre entre, d’une part la répartition géographique des établissements hospitaliers et, d’autre part, dans la conception et l’équipement des réalisations sanitaires destinées aux agglomérations urbaines et aux zones rurales ?

Le deuxième enseignement, il apparaît que la formation du personnel doit marcher de pair avec l’édification des réseaux importants de santé publique, faute de quoi les hôpitaux les plus modernes et les mieux outillés risquent de se trouver paralysés et les formations rurales inutilisées. Donc il ne suffit pas de bâtir, il faut, parallèlement, calculer les répercussions entraînées par des créations nouvelles ou par la modernisation d’installations anciennes, et ce aussi bien sur les moyens financiers et matériels  à prévoir pour le fonctionnement annuel que sur les moyens humains, c’est-à-dire le volume du personnel qualifié à prévoir.

L’écart sur le taux d’investissements consacrés aux soins de santé dans le milieu urbain et le milieu rural ne favorise-t-il pas l’exode rural au profit des bidonvilles ? Alors que tout le monde pense qu’il faut à tout prix maintenir les populations rurales sur place. Les centres sur-urbains sont un fléau des structures sociales : chômage, ‘’dégradation morale’’, prostitution, drogue, délinquance, vols, épidémies, etc. D’où les questions suivantes : Doit-on continuer à investir dans un petit nombre d’hôpitaux en zones urbaines au détriment des services de soins de santé de base en ville comme en campagne ?

Comment va se présenter l’avenir de l’Afrique en matière de santé à la lumière des énormes investissements dans le secteur de la médecine hospitalière ? Quel serait le solde présenté si on analyse les coûts et les rendements de cette médecine qui donne la priorité au ‘’curatif’’ ? D’après un rapport de l’O.M.S, environ 80 % des ressources mondiales de la santé sont consacrés à moins 10 % des problèmes de santé.

Ou bien doit-on s’orienter vers un système de soins de santé de base avec peu d’hôpitaux et déplacer les centres de santé et les dispensaires auprès des populations locales en choisissant des endroits proches des points de rassemblement servant de cadre d’implantation et d’appui solide et efficace ? Le souk, le marabout, le point d’eau, l’école, la mosquée, le secteur de coopératives agricoles, etc.

Devant la mortalité infantile et maternelle élevée due à des maladies liées aux mauvaises conditions d’hygiène de vie et alimentaires qui frappent les populations  africaines, l’hôpital n’est pas nécessaire pour faire face à des priorités comme celles-là. Il faudra améliorer les conditions de vie en mettant en place une infrastructure souple, adaptée, compatible avec les moyens et les possibilités financières locales (en préfabriqué par exemple). Cela signifie qu’il faudra apporter les soins de santé de base et enseigner les bases de la médecine préventives dans les régions rurales les plus reculées et les taudis urbains insalubres, afin d’atteindre les populations qui ont le moins de ‘’poids politique’’ et économique pour faire entendre leurs revendications mais qui représentent une bombe à retardement politique pour faire entendre leurs revendications. Tout le monde sait que cette option exige une résistance aux pressions qui s’exercent pour affecter des sommes excessives à des services dont peu de personnes profiteraient, et au contraire d’allouer prioritairement les fonds à ceux qui en ont le plus besoin. Les réponses doivent tenir compte des ressources disponibles de la population et des maladies.

De même, le contribuable africain n’est-il pas en droit de se poser des questions concernant la politique de santé fondée essentiellement sur les hôpitaux de plusieurs centaines de lits qui, souvent, commencent à connaître leurs premières difficultés juste après leur construction, en matière de management. A combien tournent ces hôpitaux de leur capacité prévue ? Si la création de ces ‘’mammouths’’ en Afrique satisfait d’abord au désir de prestige, ils se traduiront par des charges considérables pour les budgets, compromettant ainsi à la limite l’équipement sanitaire de l’ensemble du continent africain.

En résumé, il est préférable de développer un service de santé avec beaucoup d’auxiliaires médicaux et peu de spécialistes, qui fournira aussi près que possible des habitants le maximum de services. Aussi chaque niveau de soins de la pyramide de santé doit-il être lié au niveau de référence qui lui prêtera son appui et auquel pourront être adressés les patients et auquel ces derniers pourront recourir. Les différents niveaux de la pyramide de  santé doivent être considérés comme complémentaires et non concurrentiels.

Technologie appropriée

La compréhension de ‘’technologie appropriée’’ est cruciale pour assurer le succès des services de santé. Toutefois, ce principe est souvent mal interprété et mal compris. Les facultés de médecine et les écoles d’infirmier(e)s en Afrique assurent-elles un enseignement et une formation répondant de façon adéquate aux exigences et aux besoins des pays africains ? Les programmes d’études sont surtout axés sur les aspects pharmaco-thérapeutique, curatif et technique, et accordent beaucoup moins d’importance aux domaines épidémiologique, psychologique, sociologique, éducatif et préventif. Les responsables de la santé publique adhèrent de plus en plus à la tendance qui attribue principalement les ressources sanitaires aux institutions hospitalières des aires urbaines où, sous-couvert d’une médecine de qualité, le personnel médical utilise une technologie médicale lourde, sophistiquée extrêmement onéreuse, mais dont l’efficacité reste à démontrer.  L’on peut se demander dans ce contexte quelle fraction de la population est concernée par les complexes hospitaliers et leur appareillage médical ‘’lourd’’ ? Toutefois, le principe de la ‘’technologie’’ appropriée’’ ne signifie pas qu’il faut prescrire une technologie archaïque ou obsolète et bon marché aux populations. Le matériel doit correspondre aux besoins de la population à laquelle il est destiné, rationnellement adaptable et humainement maîtrisable et acceptable.

Si la technologie appropriée est souvent simple, elle n’est pas simpliste. L’instrument au moyen duquel on a pu éradiquer la variole est une petite aiguille bifide simple qui permet d’injecter exactement la petite dose du vaccin. Cette aiguille simple s’est révélée ainsi beaucoup plus efficace que la seringue classique qui était plus compliquée et exigeait une main-d’œuvre relativement plus qualifiée. De même, le traitement des diarrhées par réhydratation à l’aide de solutions de produits chimiques simples constitue un autre exemple. Dans un pays d’Amérique du sud, il y a quelques décennies, des recherches avaient permis d’imaginer un paquet pour la préparation de solution que n’importe qui, pouvait administrer à domicile. Ce procédé s’était révélé efficace, moins coûteux et acceptable localement.

Les médicaments essentiels

Le marché mondial est inondé d’une grande variété de médicaments qui sont des marques déposées (spécialités). La plupart des médicaments à noms de marque sont seulement des compositions différentes d’un petit nombre de produits pharmaceutiques offerts sous diverses formes : comprimés, gélules, injections, etc. C’est la différence entre les médicaments de marque et les médicaments génériques qui a conduit l’O.M.S en 1977 à proposer un modèle de liste de médicaments pour les rendre accessibles aux populations des pays en voie de développement.

Cette liste de médicaments ‘’essentiels’’ a pour but, d’abord de réduire le nombre de produits pharmaceutiques à acquérir, à stocker, à analyser et à distribuer ; puis d’améliorer la qualité de la consommation, de la gestion et de l’information pharmaceutiques ; ensuite de stimuler les industries pharmaceutiques locales ; et enfin d’aider les pays en voie de développement qui ont un besoin urgent de programmes pharmaceutiques prioritaires.

Lors de l’établissement de cette liste, on avait tenu compte de la nécessité impérieuse d’utiliser de façon optimum les ressources financières très faibles dont disposent les pays du sud. Le choix des médicaments s’est fait de façon à assurer la plus grande efficacité thérapeutique avec la plus grande sécurité d’utilisation possible et à moindre coût, tout en couvrant la plupart des besoins sanitaires de la plus grande majorité des populations.

En sélectionnant les médicaments essentiels, l’O.M.S n’a pas voulu porter un jugement négatif sur les médicaments non inclus dans la liste. Elle a simplement estimé que la liste proposée constituait la base à partir de laquelle les autorités nationales pourraient établir leur propre liste en tenant compte des réalités sanitaires de leur pays. Cette liste qui n’est donc ni universelle, ni exclusive, ni exhaustive, ni définitive est mise à jour tous les deux ans. D’ailleurs, à ce propos, certains pays ou institutions ont trouvé la liste de l’O.M.S très vaste et ont constitué des listes plus réduites en mettant l’accent sur le traitement des maladies dominantes chez eux. Cette liste comprend deux catégories de produits pharmaceutiques : les médicaments principaux et les médicaments complémentaires : les premiers correspondent aux besoins minimaux d’un système de soins de santé de base et indiquent les médicaments qui ont la meilleure efficacité, la meilleure innocuité et le meilleur rapport coût/efficacité concernant les maladies prioritaires. Les seconds ne sont conseillés que dans la mesure où les moyens financiers le permettent, ou si les produits principaux ne sont pas disponibles, ou s’ils sont inefficaces pour un individu donné, ou dans des circonstances exceptionnelles et quelques cas de maladies rares. En cas de doute, des médicaments peuvent également être rangés dans la catégorie complémentaire en raison de leur coût systématiquement plus élevé et/ou de leur rapport coût/efficacité moins bon dans certains contextes.

En résumé, nous supposons qu’en Afrique, seule la mise sur pied d’un système de soins de santé qui ne soit pas uniquement une affaire de technocrates, mais de chaque individu qui doit en être conscient et responsable de la hiérarchie des objectifs à atteindre en matière de santé et la place de celle-ci dans la planification générale, permettra aux populations de parvenir à un niveau sanitaire acceptable dans un avenir prévisible…

Saïd  CHATAR

Bruxelles le 11 septembre 2014