On se disperse quand on est incapable de se concentrer sur une idée, de se focaliser sur un objectif. Avoir une idée est plus difficile que d’en avoir plusieurs car cela exige le renoncement, l’enthousiasme, la concentration et la sincérité. Plusieurs idées à la fois c’est l’émiettement, la dispersion, l’absence même d’idées, c’est poursuivre plusieurs buts, c’est soutenir les causes les plus différentes et les plus contradictoires. En politique, en art, en littérature, en culture, la vie doit être tendue vers le même but qui consiste en la création et en la concentration de l’être sur son œuvre.
C’est en politique politicienne que la dispersion se manifeste avec le plus de cynisme et d’anarchisme. La dispersion engendre l’énervement, l’incohérence, le sabotage, et peuple la vie d’agités. Elle tire son origine de la propagande, des rumeurs, de l’opportunisme, du favoritisme, de l’arrivisme… Elle convient parfaitement aux nihilistes, aux incompétents qui ne possèdent aucun talent et qui préfèrent vivre dans l’eau trouble.
La dispersion anéantit les caractères et détourne les volontés du vrai but à poursuivre. Elle exerce ses ravages dans toute la société et substitue à la vie sa contrefaçon partout. Elle met le faux talent à la place du génie. Ceux qui se dispersent ainsi ne peuvent réaliser aucune œuvre durable, ni accomplir aucun acte utile. En voulant éteindre les réalités, ils font beaucoup de bruit pour des illusions factices, pour des rêves mensongers.
La société est pleine de gens qui se contredisent, qui ne savent pas ce qu’ils veulent, qui se dispersent, et qui ont tous les défauts qu’ils reprochent aux autres, parce qu’ils ne poursuivent ni le même but, ni le même idéal d’existence. Ayant des airs égarés et des attitudes d’irresponsables, ils s’agitent, courent dans tous les sens, vont et viennent sans but. Pour remplir leur vie avec quelque chose, ils ne s’intéressent qu’aux gestes insignifiants : l’attente d’une décoration, le désir d’être élu ou coopté dans une assemblée quelconque… Ils trouvent naturel de gesticuler en parlant et en pratiquant toutes sortes de gestes mondains et conventionnels ; et dès qu’un esprit sincère se met en face d’eux, se dépouille en leur présence du masque des conventions, ils crient au scandale.
La culture politique des arrivistes est d’introduire dans la vie le mensonge des morales et de déformer le sens de la vie. Vie avide de préjugés, manquant d’initiative, d’originalité, de nouveauté, correspondant exactement à l’insignifiance et l’impuissance. Voilà le but suprême des arrivistes qui consiste en la ruse, la dissimulation, l’hypocrisie. But qui résume toute la petitesse, toute la lâcheté des hommes qui désirent avec force le pouvoir, forme suprême de l’iniquité. Les vrais penseurs ignorent ces magouilles car ce qui compte pour eux, c’est la poursuite de l’idéal qui consiste à opposer l’opacité à la transparence, à dépouiller la vie de sa déformation pour lui rendre son authenticité et sa clarté.
Saïd CHATAR
Bruxelles le 12 mars 2020