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Islam et modernité, que faire? (1)

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Islam et modernité, que faire? (1)

Première partie

L’Islam est-il soluble dans la modernité ? Cette question centrale qui choque la majorité de la population musulmane est posée plus que jamais aujourd’hui en Occident. En tout cas, elle est posée en Europe depuis les attentats criminels qui ont eu lieu à Paris, à Bruxelles et à l’aéroport international de Zaventem en Belgique. La même question était déjà posée aux Pays-Bas depuis l’assassinat du cinéaste et satiriste Théo Van Gogh par un extrémiste islamiste.

Situation problématique de l’Islam en Europe

Malheureusement, rien ne sera plus comme avant en Europe, car de plus en plus, la tolérance européenne, plus particulièrement néerlandaise, française et belge, risque de céder le pas à la haine, à l’islamophobie et la ‘’musulmanophobie’’. Ces assassinats n’ont-ils pas secoué les sociétés européennes qui, dans leur grande majorité, se voulaient être des modèles de tolérance et d’intégration à l’endroit des immigrés dont, paradoxalement, beaucoup de jeunes musulmans pratiquants vivant en Europe déclarent leur mal-être face à une société dont ils se sentent souvent exclus, alors qu’au même moment et d’une façon générale, les musulmans ‘’modérés’’ ou qui se définissent comme tels, se mobilisent pour éviter l’amalgame avec l’extrémisme islamiste.

Cela fait plus de vingt ans que nous vivons les mêmes drames terroristes un peu partout non seulement en Europe, mais aussi à l’intérieur des pays arabo-musulmans : des attentats perpétrés au Maroc à Casa, Marrakech… ; la guerre civile en Algérie qui a duré plus de douze ans en faisant environ 200.000 morts dans des conditions atroces ; en Syrie ; en Irak ; au Yémen, en Afghanistan, etc. On tue partout au nom de l’Islam. Il y a une véritable hécatombe qui envahit toutes les sociétés qui se disent musulmanes. Et à ce propos, lorsqu’on fait la sociologie de l’Islam, l’on s’aperçoit qu’on fait souvent des raccourcis impardonnables qui créent des grandes peurs et des grandes phobies venant de partout en présentant les musulmans comme menaçants pour les européens en particulier et la civilisation occidentale en général ; alors qu’en Indonésie et en Malaisie où l’on parle plusieurs langues et où cohabitent plusieurs cultures, les musulmans qui y sont majoritaires vivent en parfaite harmonie avec les autres croyants. Donc il faut regarder ce phénomène islamiste à l’échelle mondiale et le relativiser en essayant de comprendre ce qui s’est passé depuis la fin des années 40 et 50, et non pas seulement depuis le 11 septembre.

Aussi les tragédies que nous connaissons aujourd’hui et qui sont dues à la situation problématique de l’Islam en Europe, ont-elles été politiquement programmées. N’avait-on pas laissé se développer en Europe un phénomène d’immigration sans se soucier de sa structuration politique, culturelle et cultuelle ? En effet, après la décolonisation, les

musulmans ont commencé à venir dans toute l’Europe occidentale où ils espéraient trouver dans les anciennes métropoles un refuge, car au lendemain des indépendances de leurs pays d’origine, il y avait eu des soi-disant révolutions politiques conduites par des Etats subordonnés à des partis uniques, le plus souvent confisqués et monopolisés par un groupe de gens qui n’avaient pas de compétences leur permettant de bien gouverner ces pays qui venaient d’accéder à l’indépendance.

Mais les travailleurs manuels musulmans qu’on avait fait venir ou qui sont venus de leur propre chef en Europe pour des raisons politiques et économiques, que connaissent-ils de l’Islam ? A quel Islam se référent-ils ? Il faut rappeler à ce propos que la théologie a disparu de la pensée islamique depuis le 13ième siècle. Alors imaginons-nous dans l’Europe actuelle un christianisme ou un judaïsme dépourvus de théologie aujourd’hui. C’est ça la question centrale. Les religieux ont fait évoluer la théologie catholique et protestante en bénéficiant de ce que la modernité a apporté pour réinterpréter les fonctions dans les religions et dans les sociétés.

Il n’en est pas ainsi pour l’Islam qui s’est désintégré progressivement pendant plus de cinq siècles. Et lorsqu’on aborde la modernité, les élites qui se sont emparées du pouvoir dans les pays arabo-musulmans, vers quoi ont-ils regardé ? Quelles ont été leur référence en matière de philosophie politique quand ils ont décidé de rejeter les pays colonisateurs en voulant éradiquer toute référence à ces derniers ? Face à cette situation, ils avaient choisi en général deux possibilités : soit le système dirigiste calqué de manière mécaniste sur le modèle collectiviste de l’ex URSS, soit l’Islam. Toutefois, l’Islam qu’ils ont invoqué n’est pas du tout codifié, étudié, puisque l’Islam auquel ils se référent est l’Islam du septième siècle.

Mais les pays d’accueil ont-ils été trop laxistes vis-à-vis de cet Islam que les immigrés ont apporté avec eux et dont la pensée théologique ne s’exerce plus dans la religion islamique. On a des muftis mais pas des théologiens. Donc on est devant une carence qui aboutit à une religion populiste vis-à-vis des pays d’accueil et au niveau international. Face à cela, peut-on parler de laxisme de la part des pays d’accueil ? Pour ma part, je ne pense pas. On a reconnu l’Islam, mais mercantilisme oblige, on a chargé les wahhabites de sa gestion en leur fournissant des centres islamiques sur des plateaux d’argent. Mais savait-on ce que les wahhabites vont enseigner dans ces centres et ces écoles à nos jeunes musulmans comme religion ? Quelle culture et quelle lecture du Coran ces wahhabites vont apporter et véhiculer dans ces centres et ces écoles ? Voilà l’erreur fondamentale, voire stratégique que les pays d’accueil ont commise.

De même, quand la Belgique a reconnu l’Islam comme religion officielle en 1973, l’Etat qui doit financer les professeurs pour enseigner l’éthique dans les lycées et les écoles avait commis une erreur d’appréciation, car il ne savait pas quel est le personnel qui va venir prendre en charge un enseignement de l’éthique en Belgique, parce qu’il y a un fossé considérable entre une modernité qui s’est développée en Europe et l’Islam en question.

En effet, cette modernité a changé complétement le regard des Européens sur la religion, alors que l’Islam n’a pas connu cela dans les pays arabo-musulmans.

Mais l’Islam belge ou européen existera-t-il un jour ? L’un des problèmes essentiels du terrorisme qu’on impute à l’Islam et aux Musulmans réside plutôt dans l’ignorance réciproque qu’on doit absolument combattre car elle conduit inéluctablement au choc des ignorances dû à l’absence des débats sur le terrorisme, entre autres. Il faudra pour cela consacrer assez de temps aux problèmes posés aujourd’hui par la lecture et l’interprétation du Coran comme le font les théologiens juifs, catholiques, protestants pour la thora et la bible. Malheureusement les musulmans n’ont pas accès à la théologie du Coran. Ils n’y ont accès ni dans la littérature arabe dans laquelle s’exprime la pensée et l’exégèse islamiques, et encore moins dans les sciences sociales qui fournissent les outils nécessaires pour relire le texte coranique avec les données de la connaissance d’aujourd’hui afin de le contextualiser, car il n’y a pas d’espace pour le leur donner.

A suivre…

Saïd CHATAR