La crise de l’autorité est profonde au Maroc. Elle affecte pratiquement toutes les disciplines et toutes les institutions : la famille où les enfants n’obéissent plus à leurs parents, l’école où les enseignants n’arrivent pas à se faire obéir de leurs élèves, l’université, l’hôpital, la justice, le travail, la politique, la vie locale et autres administrations… Alors d’où vient cette crise ? La société marocaine peut-elle se passer de l’autorité ? La fin de l’autorité vient-elle de commencer ? Est-elle envisageable ? Et si c’est le cas, quelles seront les conséquences ? Il n’est pas facile de répondre à ces questions.
Les discussions engagées sur l’autorité prêtent à confusion car on a souvent tendance à confondre l’autorité avec l’autoritarisme. D’où la difficulté sur ce qui est vraiment l’autorité : autorité, pouvoir, domination, prestige, légitimité, influence… Tous ces concepts qui se mélangent, se heurtent et s’imbriquent nous empêchent de connaitre la nature fondamentale de l’autorité et sa diversité qui varie à l’infini : il y a autant de formes de vie que de formes d’autorité.
Ainsi, comprendre l’autorité, c’est comprendre comment être en société. L’autorité d’un parent n’est pas celle d’un chef de service ou d’un directeur, d’un médecin, et encore moins le commandement d’un roi sacré ou d’un chef coutumier. Et comme nous l’avons signalé plus haut, nous voyons autour de nous des parents désemparés, des enseignants perplexes, des policiers et des fonctionnaires démotivés, des chefs aux abonnés absents, des responsables politiques déstabilisés pour diverses raisons, des groupes en panne de leadership… De même, dans nombre d’institutions, à défaut de corruption ou de médiocrité, il devient de plus en plus difficile de trouver des candidats à la fois compétents et motivés pour les postes à responsabilité.
Une personne qui a de l’autorité sait se faire obéir. On dit que tel professeur a beaucoup d’autorité sur ses élèves, tel père manque d’autorité sur ses enfants… L’autorité c’est aussi le droit de donner des ordres, des instructions, de commander. Les employés travaillent sous l’autorité et les ordres du chef. Faire autorité c’est être reconnu dans un domaine par les gens importants, par les gens qui sont au courant. Ce livre sur les relations internationales fait autorité auprès des spécialistes du droit international. De même, une autorité c’est aussi une personne reconnue pour son pouvoir, son savoir, tel professeur est une autorité dans tel domaine…
Par ailleurs, en ce qui concerne la confusion de l’autorité avec le commandement, il y a des chefs qui ne commandent pas. Les autorités sont les personnes qui ont le pouvoir : les autorités militaires sont à la tête de l’armée ; telle manifestation a été interdite par les autorités, par le gouvernement, etc. Mais il y a en même temps des figures d’autorité qui sont absolument dépourvues de toute espèce de pouvoir. De même, certaines formes d’autorité donnent accès à des privilèges, alors que dans d’autres cas il y a des positions d’autorité qui sont les moins enviables.
La particularité de ce point de vue sur l’autorité consiste à prendre en considération la diversité des formes de vie, des rituels, des institutions… Et au lieu de faire de l’autorité un objet spécifique et localisé, il la conçoit comme une propriété inhérente à toutes les formes de la vie collective. Il y a autant de communautés que d’individus qui parlent en leurs noms, il s’agit de la parole collective. Toutefois, il faut bien des gens pour faire parler les institutions, pour dire la loi, le but, le rituel, pour représenter des groupes auprès des autres groupes. C’est pourquoi, ceux qui annoncent la fin de l’autorité ne mesurent pas bien la portée de la prophétie qui consiste en le monde sans autorité. Car un monde sans autorités serait un monde sans vie collective, un monde vidé d’appartenance et de solidarité. Ce monde existe déjà dans les imaginaires de certains économistes : c’est le marché dans sa forme pure, c’est-à-dire un monde social réduit à des transactions fondées sur des échanges intéressés, mais ce n’est qu’un rêve bien sûr.
Par ailleurs, il ne se passe pas un jour sans qu’on entende un décideur se plaindre de la crise de l’autorité et de l’insubordination des personnes qui travaillent sous ses ordres. En effet, la question de l’autorité devient de plus en plus obsédante pour les décideurs de toutes les administrations, de quelque niveau hiérarchique que ce soit. A cet effet, nous nous permettons de donner un avis critique aux lecteurs sur la raison utilitaire de l’idéologie ultralibérale imposée au Maroc par les oligarques du pouvoir au plus haut niveau de l’Etat et leur donneur d’ordre, le grand capital apatride qui réduit la société marocaine aux échanges économiques aux dépens de l’autorité. Ainsi ce point de vue est-il susceptible d’attirer l’attention du lecteur sur ‘’la critique sociale’’.
En effet, au Maroc, nous sommes en face d’un peuple qui est devenu une proie pour un pouvoir autoritaire, autoritariste et ‘’patrimonialiste’’ utilisant l’Etat au bénéfice de ses oligarques et du grand capital transnational. Quand un pays a une cohésion entre les décideurs et le peuple, il n’y a rien à craindre. Par contre, quand il n’y a pas un peuple derrière les décideurs, quand il y a un fossé, une rupture entre les décideurs et les administrés, alors le pays devient faible et fragile pour les ennemis intérieurs et surtout extérieurs qui le convoitent. D’où l’affaiblissement, la perdition de l’Etat et de son autorité.
Après avoir donné brièvement notre point de vue sur l’autorité et la confusion de celle-ci avec l’autoritarisme, nous allons essayer de donner dans la suite de ces lignes notre avis sur les raisons de la crise de l’autorité qui régit pratiquement toute la société marocaine.
A suivre…
Saïd CHATAR
Bruxelles le 31 janvier 2020