Première partie
Position du problème
Pourquoi l’organisation médico-sanitaire en Afrique qui, comme toute organisation reflétant des valeurs sociales et culturelles, se débat dans une crise qui sévit constamment ? Cette crise résulte-elle de l’éthique et l’exercice médicaux qui ne sont que le reflet des sociétés africaines basées sur l’individualisme, la corruption, le profit maximum, qui assure la défense absolue et inconditionnelle de l’anarchie dans laquelle se débattent les systèmes de santé publique en Afrique ? A notre avis, une autre cause de l’inadaptation de l’organisation médico-sanitaire réside dans le décalage qui existe entre les politiques imposées par des techniciens déconnectés des réalités de leurs pays et les besoins réels des peuples africains en matière de santé. Cependant, les hommes et les institutions médico-sociales ne doivent-ils pas, dans une certaine mesure, être le reflet de la société pour laquelle ils sont conçus ? Alors comment pourrait-on résoudre le problème de la distribution des soins de santé dans le continent africain où la santé est devenue l’un des problèmes les plus cruciaux, l’un des plus fondamentaux ? Nous allons essayer de répondre à cette question complexe, dans la première et la deuxième partie de cet article.
La santé est politique
Il n’est pas inutile de rappeler au lecteur qu’en 1945, le Brésil et la Chine avaient proposé la création d’une organisation internationale de la santé dans le cadre de l’organisation des Nations-Unies. Et en 1946, la constitution de l’organisation mondiale de la santé (O.M.S) qui fut votée, donna à la santé la définition suivante : ‘’la santé est un état de bien-être complet physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité’’. Cette définition est inscrite au préambule de 1946 à la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Par cette définition tridimensionnelle qui est inscrite au préambule de 1946 à la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et qui n’a jamais été modifiée, l’OMS veut replacer le problème de la santé dans ses véritables dimensions physique, mentale et sociale, et montrer que la santé n’est pas un simple ressenti. Elle est produite. Elle est un résultat. Et par conséquent, elle est politique. Ainsi l’OMS veut-elle confier aux gouvernements nationaux la responsabilité de prendre ‘’les mesures sanitaires et sociales appropriées’’ pour la santé de leurs peuples.
Par ailleurs, la pollution dans les grandes villes, la destruction de la biodiversité, les dégradations physiques causées par le tabac, l’alcool, la drogue, les accidents de la route, les produits chimiques de tout genre, nous font prendre conscience des dimensions complexes du problème de santé. Et face à l’énormité de ces défis, la santé devient chaque jour un problème de choix, c’est-à-dire un problème politique. Toutefois, la politique de santé est-elle possible en Afrique ? D’où les questions suivantes : les Ministères élaborent-ils des programmes politiques fiables et viables en matière de santé publique ? Les responsables africains qui sont à la tête des ministères de la santé publique, agissent-ils dans le cadre d’une politique bien définie et d’une stratégie claire leur permettant de mener à bien les actions urgentes des secteurs de ces départements ? Les moyens humains, financiers et matériels mis à leur disposition sont-ils suffisants ? Les utilisent-ils de façon rationnelle et efficace pour atteindre les objectifs prioritaires fixés au préalable à court, à moyen et à long terme ? Le personnel du secteur de la santé publique en Afrique mène-t-ils assez de campagnes pour expliquer aux citoyens les ambitions de la politique gouvernementale en matière de santé publique ? Les démarches actuelles des responsables de la santé publique bénéficient-elles de la confiance et du soutien des populations qui semblent ne croire à rien. Encore faudrait-il que ces responsables sachent que l’élaboration d’une politique de santé ne peut se faire qu’à partir d’une conception de la société dynamique et libératrice, car les sociétés africaines qui sont déprimées, traversent pour le moment de graves crises socio-économiques, politiques, morales, etc. Et l’accession au niveau de santé le plus élevé possible qui est un objectif social extrêmement important pour les peuples africains, suppose l’implication et la participation de nombreux secteurs socio-économiques autres que celui de la santé.
Au lieu d’être pris en étau entre le médecin et l’hôpital qui font partie de l’ensemble du curatif, le système de santé publique qui est désuet et obsolète en Afrique devra s’articuler autour du préventif et du curatif. En Afrique, nous avons tendance à croire que notre santé est une affaire de quelques spécialistes, aux mains desquels nous pouvons, en toute confiance, nous abandonner. Rien n’est plus faux et c’est l’organisation mondiale de la santé (O.M.S) qui avait essayé de défier cette idée qu’on a de la santé, lors de sa conférence d’Alma-Ata (1978) dont la déclaration promettait pour le futur, la notion de ‘’soins de santé primaires’’, financièrement accessibles et disponibles pour les populations dans un cadre de droit à la santé pour tous.
La déclaration d’Alma-Ata
En quoi consiste cette déclaration ? Au début des années 80 déjà, j’avais fait quelques réflexions à propos de la ‘’Déclaration d’Alma-Ata’’ et de la situation problématique de la santé publique au Maroc au début des années 80 dans le quotidien de gauche ‘’ALBAYANE’’. J’avais suggéré aux responsables du Ministère de la santé publique de l’époque de repenser la politique et l’organisation médico-sanitaires en se référant à cette déclaration qui propose la rupture avec une tradition bien établie dans le domaine de la santé qui consiste à ne prendre les choses que par un bout : organisation des soins, défense des professions médicales et paramédicales, gestion et planification des investissements et des financements, dépistage des maladies, etc. Toutefois, malheureusement, malgré les résultats minces, voire affligeants obtenus à la suite de cette politique aberrante de la santé, les décideurs politiques marocains en matière de santé publique de l’époque n’avaient accordé aucune attention à mes suggestions par rapport à cette déclaration qui constituerait un cadre ou plutôt un canevas remarquable sur lequel on pourrait élaborer et tisser des plans, des programmes et des projets correspondant parfaitement aux besoins réels, ressentis, voire potentiels prioritaires en matière de santé au Maroc. Ainsi le Maroc aurait-il, peut-être, pu bâtir une autre politique de la santé afin de sortir du désordre et de l’anarchie dans lesquels il continue toujours de patauger.
Pour ce qui est de la ‘’Déclaration d’Alma-Ata’’, en septembre 1978, 137 pays s’étaient réunis sous la direction de l’OMS et de l’UNICEF à Alma-Ata au Kazakhstan pour signer une déclaration commune qu’ils avaient baptisée ‘’Déclaration d’Alma Ata’’, fondatrice d’un autre modèle de société. Modèle qui est basé sur un nouvel ordre économique mondial, plus juste et plus solidaire, et sur la promotion des ‘’soins de santé primaires’’. En effet, l’ambition de cette déclaration est de permettre la santé pour tous en l’an 2000. Quarante ans plus tard, le mercantilisme et la logique marchande se sont imposés partout en Afrique, y compris le Maroc, mais aussi mondialement, et les inégalités d’accès à la santé continuent à s’aggraver sans cesse.
C’est pourquoi, je vais me permettre de recommander vivement aux responsables de la santé publique en Afrique de lire attentivement cette déclaration qui s’articule essentiellement autour de quatre principes fondamentaux que nous allons développer prochainement dans la deuxième partie de cette article et qui sont : la participation de la communauté, l’approche multisectorielle, la technologie appropriée et la liste des médicaments essentiels. Je suis convaincu que les enseignements que ces responsables pourront tirer de cette déclaration les aideront à améliorer sûrement l’état de santé des peuples africains. Comme nous allons le voir dans la deuxième partie de cet article, cette déclaration va au-delà de la question du secteur hospitalier et du comportement du corps médical. En effet, ceux qui vont la lire comprendront bien que les soins de santé primaires sont tout autre chose que la médecine que nous connaissons, c’est-à-dire la médecine des médecins, des spécialistes et des hôpitaux, qui ne devrait représenter qu’une partie des soins de santé du curatif.
Dans le cadre du point 7* de cette déclaration qui, en matière des problèmes de santé publique, consiste à faire des travaux d’approche multisectorielle, est le reflet concret des aspirations des populations qui désirent assumer elles-mêmes leurs problèmes de santé. Une question reste cependant posée au département de la santé publique : comment se présente l’avenir de la santé en Afrique à la lumière des résultats lamentables malgré les énormes investissements effectués dans la médecine curative ?
Les soins de santé primaires ne concernent pas seulement la prévention des maladies, mais également la promotion de bonnes conditions alimentaires, l’accès à l’eau potable et tout ce qui est important et nécessaire pour pouvoir mener une vie économiquement et socialement productive en référence au point 5 de cette déclaration. En d’autres termes, les soins de santé primaires impliquent en premier lieu que chaque individu soit conscient de ses problèmes de santé et c’est pourquoi il est nécessaire de lui apprendre ce qu’est une maison saine, une nourriture saine, comment il doit se protéger contre un certain nombre d’agressions auxquelles il est exposé quotidiennement, etc. Je ne pense pas que la médecine générale ou spécialisée et l’hôpital puissent apporter la solution. A ce propos, le problème de la santé ne rejoint-il pas finalement le problème de la place de l’homme dans la société et de la place que la société réserve à chacun ?
Aussi constate-on très souvent que les médecins sont éblouis par la technologie médicale. Toutefois, à qui celle-ci est-elle destinée ? Quelle fraction de la population est concernée par l’appareillage lourd ? Alors qu’au même moment, on constate également que la majorité des médecins pratiquent une médecine générale dont la qualité pourrait être remise en cause parce qu’elle est exercée dans de très mauvaises conditions. Je n’ai certes nullement et aucunement l’intention de mettre en cause les médecins qui, beaucoup d’entre eux travaillent dur, mais je me demande toutefois si leur indéniable dévouement profite au malade et, en fin de compte, au corps médical lui-même. Il s’agit là de problèmes que les africains ne peuvent ignorer. Aussi devons-nous nous interroger sur le rôle du médecin dans les sociétés africaines où les populations n’ont jamais appris comment adopter une attitude correcte en matière de santé.
Si seulement nous parvenions à intégrer l’éducation sanitaire dans nos programmes d’enseignement, ou mieux encore, si l’on enseignait à nos enfants ce qui a permis à l’humanité de survivre pendant des milliers d’années, c’est-à-dire adopter un comportement adapté à l’environnement personnel, alors nous aurions accompli un pas important vers la réalisation des soins de santé primaires.
Malheureusement, nous n’en sommes pas encore là. L’éducation nationale n’affiche-t-elle pas une réelle passivité dans ce domaine ? Le fait que nous semblons attendre la formation de médecins qui, un jour agiront de leur propre initiative dans le sens visé, me parait dramatique, eu égard à l’ampleur des problèmes auxquels ils sont confrontés.
En guise de conclusion
Les soins de santé primaires de la ‘’Déclaration d’Alma Ata’’ qui ne se limitent pas aux soins de santé élémentaires de la population, s’inscrivent également dans un programme beaucoup plus vaste englobant le bien-être socio-économique, physique, mental et culturel de la population. La santé publique devrait faire l’objet d’un travail d’approche systémique à travers des débats à l’échelon national, régional et local.
Je voudrais enfin signaler que cette ‘’Déclaration d’Alma-Ata’’ s’adresse plus que jamais aux africains dont les investissements n’ont pas été orientés correctement et qui devront repenser les dits investissements grâce à une véritable politique de santé. En effet, l’attitude dictée par l’offre et la demande ne correspond nullement et aucunement à la réalité africaine. L’offre ne répond pas à la demande, mais à un développement qui se produit dans le cadre du financement par la société. Ainsi, la collectivité doit à présent assumer la responsabilité d’orienter cette offre dans le sens le plus favorable à la population.
A suivre…
Saïd CHATAR
Bruxelles le 11 septembre 2014
Le point 7* : Dans la déclaration d’Alma Ata’’, le point 7 consiste en l’approche multisectorielle et systémique en matière des problèmes de santé publique : (…) les soins de santé primaires font intervenir, outre le secteur de la santé, tous les autres secteurs et domaines connexes du développement national et communautaire, en particulier l’agriculture, l’élevage, la pêche, la production alimentaire, l’industrie, l’éducation, le logement, les travaux publics et les communications, et requièrent l’action coordonnée de tous ces secteurs ; ils font appel tant à l’échelon local qu’à celui des services de recours aux personnels de santé (médecins, infirmières, sages-femmes, auxiliaires et agents communautaires, selon le cas, ainsi que, s’il y a lieu, praticiens traditionnels), tous préparés socialement et techniquement à travailler en équipe et à répondre aux besoins exprimés par la collectivité.